Le 30 octobre 2020, la Cour des affaires pénales du Tribunal pénal fédéral a rendu son jugement dans l’affaire opposant le Ministère public de la Confédération et D. à l’ancien Secrétaire général de D., A., au Directeur de G., B., et à l’homme d’affaires grec C.
A. a été accusé de gestion déloyale aggravée (art. 158 ch. 1 al. 3 CP), corruption passive (art. 4a al. 1 let. b en lien avec l’art. 23 al. 1 de la loi fédérale contre la concurrence déloyale, du 19 décembre 1986, dans leur teneur antérieure au 1er juillet 2016 [aLCD]) et faux dans les titres (art. 251 ch. 1 CP). B. a été accusé d’instigation à gestion déloyale aggravée (art. 24 cum art. 158 ch. 1 al. 3 CP). Quant à C., il a été accusé d’instigation à gestion déloyale aggravée (art. 24 cum art. 158 ch. 1 al. 3 CP) et corruption active (art. 4a al. 1 let. a en lien avec l’art. 23 al. 1 aLCD).
A. a été reconnu coupable de faux dans les titres répété (art. 251 ch. 1 CP) et condamné à une peine pécuniaire de 120 jours-amende à CHF 200.- le jour-amende, avec sursis à l’exécution de la peine durant un délai d’épreuve de deux ans. En revanche, il a été acquitté des autres chefs d’accusation. S’agissant de B. et C., ils ont également bénéficié d’un acquittement des infractions reprochées à leur encontre. Néanmoins, les trois prévenus ont été condamnés à supporter les frais de procédure et leurs frais de défense.
La Cour des affaires pénales est parvenue à la conclusion qu'A. a obtenu des avantages indus de la part des deux co-accusés, alors qu’il était Secrétaire général de D.
D’une part, A. a obtenu en février 2014 le remboursement d’un acompte d’environ EUR 500'000.- qu’il avait versé à un tiers courant 2013 pour l’acquisition d’un bien immobilier de luxe en Sardaigne, ce après l’acquisition de ce bien immobilier à sa place par B. le 31 décembre 2013, au moyen d’une société constituée spécialement dans ce but au Qatar. A. a ensuite obtenu de B. l’usage de ce bien, sans s’acquitter d’un loyer, mais en prenant à sa charge certains frais d’aménagement. En contrepartie, A. s’est engagé envers B. à user de son pouvoir d’appréciation de Secrétaire général de D., afin de favoriser et appuyer la candidature de G. pour la conclusion d’un contrat de licence des droits médias en Afrique du Nord et au Moyen-Orient des Coupes du Monde 2026 et 2030 et évènements additionnels de D. pour la même période. Ledit contrat a été ratifié par D. le 29 avril 2014.
D’autre part, A. a usé de son pouvoir d’appréciation de Secrétaire général de D. pour favoriser et appuyer la conclusion d’un contrat de sales representation avec l’agence M. Limited pour les droits médias en Italie des Coupes du Monde 2018 et 2022 de D. Ce contrat a été conclu par D. le 4 octobre 2013. En outre, A. a favorisé et appuyé la conclusion de contrats similaires avec les agences M. Limited et N. SA pour les droits médias en Italie et en Grèce des Coupes du Monde 2026 et 2030 et Coupes des Confédérations de D. pour la même période, notamment. Le 19 mars 2015, D. a accepté la proposition d'A. de conclure de tels contrats avec ces deux agences. En contrepartie, A. a bénéficié, entre novembre 2013 et juillet 2014, de trois versements de C., pour une valeur totale d’EUR 1,25 million.
Dans son examen de l’infraction de gestion déloyale aggravée (art. 158 ch. 1 al. 3 CP), la Cour a estimé qu'A. avait la qualité de gérant et qu’il avait violé ses devoirs de gestion, tels que résultant des règles et directives d’organisation internes de D., en acceptant les avantages indus mentionnés auparavant, qu’il n’a pas annoncés, ni restitués à D. Cependant, la Cour n’a pas retenu que ces avantages indus auraient déterminé A. à un comportement contraire aux intérêts pécuniaires de D. et, par la suite, dommageable à celle-ci. En effet, il est ressorti des explications concordantes des personnes interrogées que les contrats litigieux dont A. a favorisé et appuyé la conclusion étaient très avantageux du point de vue économique pour D. Aucun élément n’a permis de retenir que D. aurait pu conclure des contrats plus avantageux sur le plan économique pour les droits médias précités. En l’absence de dommage, l’infraction de gestion déloyale aggravée n’a pas été retenue et les prévenus ont été acquittés de ce chef d’accusation.
S’agissant de l’infraction de corruption active et passive (art. 4a al. 1 let. a et b en lien avec l’art. 23 al. 1 aLCD), dont la poursuite n’a lieu que sur plainte, la Cour a été appelée à examiner uniquement l’éventuelle entrave au jeu de la concurrence résultant des contrats de sales representation de D. avec les agences M. Limited et N. SA, à la suite du retrait partiel par D. en janvier 2020 de la plainte pénale qu’elle avait déposée.
En lien avec cette infraction, la Cour a estimé que l’exercice par A. de son pouvoir d’appréciation de Secrétaire général de D., pour favoriser et appuyer la conclusion par D. d’un contrat de sales representation avec les agences M. Limited et N. SA, n’a pas influencé négativement le jeu de la concurrence. En effet, à teneur des conditions contractuelles imposées par D. à ces deux agences, elles devaient obtenir des offres des diffuseurs (broadcasters) pour l’Italie et la Grèce, transmettre ces offres à D., puis assister cette dernière dans les négociations avec les diffuseurs ayant présenté les offres les plus élevées. La conclusion du contrat de vente, soit l’octroi de la licence commerciale pour les droits médias des Coupes du Monde 2018 et 2022, respectivement 2026 et 2030, et des Coupes des Confédérations de cette période, relevait de la seule compétence de D. Afin d’obtenir les offres des diffuseurs, les agences M. Limited et N. SA devaient procéder à un appel d’offres (open public tender), de sorte que les diffuseurs intéressés par la retransmission en Italie et en Grèce des parties de football des compétitions précitées de D. pouvaient participer à ce processus ouvert en soumettant une offre.
De même, la Cour a considéré que le bon fonctionnement du marché n’a pas été affecté par le choix de D. de conclure un contrat de sales representation avec les agences M. Limited et N. SA. Bien que D. n’ait pas mené de discussion avec d’autres agences pour les droits médias précités, la Cour a estimé, en substance, que ce choix n’a pas privé des agences concurrentes à M. Limited et N. SA d’offrir leurs services à D. pour la vente de ces droits médias dans d’autres pays que l’Italie et la Grèce ou la vente d’autres droits médias de D. dans ces deux pays.
En l’absence d’une altération du jeu de la concurrence, A. et C. ont été acquittés du chef d’accusation de corruption active et passive au sens de l’art. 4a al. 1 let. a et b en lien avec l’art. 23 al. 1 aLCD.
La question a été laissée ouverte de savoir si l’appréciation de la Cour aurait été différente si elle avait eu à juger l’état de fait sous l’angle des nouvelles dispositions pénales réprimant la corruption privée (art. 322octies, 322novies et 322decies CP), qui sont entrées en vigueur postérieurement aux faits reprochés à A. et C., dans la mesure où l’exigence d’une incidence sur la concurrence économique a été supprimée par ces nouvelles dispositions pénales.
En ce qui concerne l’infraction de faux dans les titres (art. 251 ch. 1 CP), les trois versements dont A. a bénéficié de la part de C., totalisant EUR 1,25 million, ont faussement été comptabilisés comme prêts aux bilans 2013 et 2014 de la société O. GmbH, de siège social à W., dont A. était l’unique ayant-droit économique. La Cour a dès lors reconnu A. coupable de l’infraction de faux dans les titres répété pour cet état de fait.
S’agissant encore des prétentions civiles de la partie plaignante, la Cour a astreint A. à restituer à D. les avantages indus dont il a bénéficié, à savoir l’acompte d’environ EUR 500'000.- qui lui a été remboursé pour l’acquisition d’un bien immobilier en Sardaigne, sous déduction de certains frais qu’il a assumés en lien avec ce bien immobilier, ainsi que la somme d’EUR 1,25 million qu’il a perçue de C. En outre, A. a été astreint à verser à D. une indemnité de CHF 80'000.- pour les dépenses obligatoires occasionnées par la procédure.